L’avancement militaire, une plus-value pour la vie civile et la carrière professionnelle

Le tollé qu’a suscité la récente parution d’une offre d’emploi, par une société siégeant à Genève, excluant d’emblée les citoyens suisses masculins astreints au service militaire, démontre que malheureusement, une partie des employeurs de notre pays voit davantage le service militaire comme un inconvénient plutôt qu’une opportunité.

Il convient de rappeler que l’accomplissement des obligations militaires n’est pas un choix, mais un devoir découlant de notre Constitution fédérale, auquel le peuple et les cantons suisses ont renouvelé leur attachement par les urnes en septembre 2013. C’est donc à raison que l’Union des Sociétés Militaires de Genève (USMG) a dénoncé cette discrimination, que le Commandant de Corps Daniel Baumgartner, Commandant des Forces terrestres, a par ailleurs qualifié à juste titre comme étant « parfaitement inacceptable » dans une lettre ouverte à l’administrateur de l’entreprise concernée.

L’exclusion figurant sur cette offre d’emploi est d’ailleurs d’autant plus inadmissible qu’elle semble également pouvoir s’appliquer par ricochet envers les jeunes qui ont été déclarés inaptes au service militaire et qui dès lors sont astreints à la protection civile, de même qu’envers ceux qui effectuent le service civil, dès lors que ces personnes accomplissent elles aussi un service au profit de la collectivité en tant que citoyens suisses.

Ne soyons pas naïfs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce cas, qui a fait couler de l’encre dans toute la Suisse, n’est probablement que la pointe de l’iceberg. En effet, que ce soit délibérément ou par maladresse, cette société a au moins le mérite d’avoir été transparente sur ses préférences. D’autres employeurs pratiquent exactement la même discrimination à l’embauche, mais d’une façon bien plus sournoise, en éludant la question dans les critères de sélection affichés, tout en écartant purement et simplement les candidatures de personnes astreintes au service, comme ils le feraient par exemple avec des jeunes femmes, ce qui est tout aussi choquant. En fin de compte, les personnes concernées sont informées par le classique refrain « malgré la qualité de votre dossier, nous sommes au regret de vous informer que votre candidature n’a malheureusement pas été retenue », et il devient impossible de démontrer une quelconque discrimination.

On dit qu’autrefois, dans certaines entreprises, banques ou études d’avocats ou de notaires par exemple, il était pratiquement impossible d’évoluer professionnellement si l’on n’était pas au moins premier-lieutenant ou capitaine à l’armée. Cette époque est révolue et regretter celle-ci serait tout à fait absurde, puisqu’une telle pratique aurait pour effet d’exclure également les femmes, les personnes souffrant d’un handicap ou les étrangers notamment.

En revanche, toute aussi absurde est la réalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. En effet, pour beaucoup d’employeurs, en particulier les sociétés dont les responsables des ressources humaines n’ont absolument aucune idée des subtilités de l’armée de milice fondée sur le principe de l’obligation de servir, le fait d’accomplir un jour de service n’est perçu comme rien d’autre qu’un jour d’absence d’un salarié sur le lieu de travail ; en d’autres termes, le service militaire est quasiment assimilé à un arrêt maladie.

Pourtant, chaque école militaire peut apporter quelque chose de plus à l’évolution d’un astreint, aussi bien sur le plan personnel que dans la vie professionnelle. Que ce soit à l’école de recrues, où l’on reçoit une discipline personnelle de base et une formation technique, à l’école de sous-officiers, dans les stages de formation de sous-officiers supérieurs ou à l’école d’officiers, où l’on est initié à la conduite et à l’instruction, ou encore à l’école centrale, où l’on apprend à appliquer le processus de planification de l’action, l’armée forme chaque année des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes en leur fournissant des outils utiles au quotidien.

Quant aux stages de formation d’état-major général (EMG), ceux-ci offrent, en partie à tout le moins, un équivalent militaire du « MBA » à ceux qui s’y aventurent. Bien entendu, dans des conditions autrement plus intensives. Dans un excellent article paru dans la Revue de l’Avocat l’an dernier, deux avocats romands, tous deux officiers EMG, ont d’ailleurs été jusqu’à démontrer que les activités de conduite militaire et la méthode de travail d’un officier EMG pouvaient s’appliquer « mutatis mutandis » (comme on le dit dans la pratique judiciaire) ou « à l’échelle 1:1 » (comme on le dit à l’armée) au traitement d’un problème non-militaire relativement complexe, en prenant l’exemple de la réorganisation d’un centre médical[1].

Ce qui distingue assurément les formations militaires de celles que l’ont peut trouver dans la vie civile, c’est leur dimension pratique. Rares sont en effet les jeunes dans leur vingtaine qui peuvent se targuer d’avoir conduit des subordonnés sans avoir été chef de groupe, chef de section ou commandant de compagnie à l’armée.

Dès la réforme Armée XXI, la Confédération a saisi l’importance de la reconnaissance au civil des formations militaires à la conduite. Le système FUM a d’ailleurs beaucoup évolué depuis 2004 grâce à l’appui de l’Association Suisse pour la Formation des Cadres (ASFC).

De plus, sous l’impulsion de nombreuses sociétés d’officiers, avec le soutien de l’armée, plusieurs Universités et autres hautes écoles de notre pays reconnaissent désormais, à certaines conditions, des crédits de formation ECTS en faveur des cadres militaires immatriculés.

En outre, on ne peut que se réjouir de la future introduction, en marge du Développement de l’Armée (DEVA), d’un système de contribution au financement des études de ces mêmes cadres qui, ne l’oublions pas, consacrent un temps significatif sous les drapeaux en parallèle de leur formation universitaire ou au sein d’une haute école spécialisée.

Enfin, les invitations lancées par de nombreux commandants d’école ou de corps de troupe à l’attention de chefs d’entreprises, d’administrateurs de sociétés, de directeurs de hautes écoles, de fonctionnaires supérieurs ou de responsables politiques à découvrir sur le terrain la réalité de l’activité militaire à l’occasion de journées « portes ouvertes » sont à saluer.

En conclusion, l’économie et l’armée ont tout pour créer des synergies de manière constructive dans l’intérêt de l’une comme de l’autre. Fort heureusement, de très nombreux employeurs valorisent encore l’activité et l’avancement militaires et y trouvent un retour sur investissement. Et souvent, ces employeurs, ce sont des petites et moyennes entreprises, qui ont d’ailleurs le plus de peine à trouver des solutions durant l’absence d’un collaborateur pour cause de service militaire. Dès lors, d’une certaine manière, en discriminant à l’embauche les astreints, que ce soit de manière explicite ou implicite, non seulement on se prive de compétences, mais surtout, on méprise aussi bien les militaires qui servent la Patrie, que les employeurs qui eux, respectent les règles du jeu, et qui donc, méritent toute notre reconnaissance.

[1] KILCHENMANN Emmanuel / BÉRARD Stefan, Similitudes entre les outils militaires pour l’aide à la prise de décision et la pratique du métier d’avocat, Revue de l’Avocat n° 6/7 2016, pp. 255 ss.

(article paru dans le bulletin n° 808 de la Société militaire des carabiniers genevois, juin 2017)

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