« Vox populi, vox dei » : quo vadis Helvetia ?

L’approbation par le peuple et l’immense majorité des cantons suisses de l’initiative anti-minarets n’est pas seulement un affront pour les musulmans qui habitent notre pays : elle met la démocratie directe de notre pays face à ses contradictions.

L’art. 139 de la Constitution fédérale prévoit que les initiatives populaires qui sont contraires aux « règles impératives du droit international » doivent être invalidées par le Parlement.

Ces règles, telles qu’interprétées actuellement, sont :

– l’interdiction de la torture ;

– l’interdiction de la peine de mort ;

– l’interdiction de l’esclavage ;

– l’interdiction des génocides ;

– le principe de non-refoulement des réfugiés.

Ce n’est donc que si une initiative populaire viole l’une ou l’autre de ces règles dites du « jus cogens » qu’elle peut, en l’état actuel des choses, être invalidée. Tel n’a pas été le cas de l’initiative anti-minarets. Pourtant, l’écrasante majorité des experts juridiques s’accorde sur le fait que pour la première fois de l’Histoire, nous sommes en présence d’un conflit majeur entre le droit international et notre démocratie directe.

L’initiative anti-minarets, en tant qu’elle prescrit un traitement différent à une communauté religieuse clairement identifiable sans que cette différence de traitement ne repose sur un motif objectif et raisonnable, viole aussi bien la liberté religieuse que le principe d’interdiction des discriminations. Contrairement à ce qu’affirment les auteurs de l’initiative, et désormais certaines conseillères fédérales, la liberté religieuse ne se limite pas à la simple pratique d’une religion : elle comporte un noyau dur qui doit être protégé en tant que tel.

La liberté religieuse et l’interdiction des discriminations ne font certes pas partie du « jus cogens », mais elles sont consacrées par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne sont en rien d’anodins accords internationaux à portée technique.

À l’occasion d’un recours dirigé contre un refus d’autoriser la construction d’un minaret, le Tribunal fédéral n’aura pas d’autre choix que de constater la violation de ces deux conventions internationales. Il refusera par conséquent d’appliquer le nouvel art. 72 al. 3 Cst. féd. Dans l’hypothèse inverse, où le Tribunal fédéral en jugeait autrement, c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui constaterait une violation de la Convention et condamnerait la Suisse après coup.

Dès lors, on peut se poser la question s’il vaut la peine de soumettre au vote du peuple et des cantons des textes juridiquement inapplicables. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient suggérer, il n’est juridiquement et politiquement pas possible de dénoncer une convention internationale en matière de droits de l’homme pour la ratifier à nouveau en émettant des réserves sur les points en contradiction avec une décision populaire.

Une solution des plus simples serait que le Parlement réinterprète la notion de « règles impératives du droit international » de l’art. 139 Cst. féd. comme comprenant l’ensemble des engagements internationaux pris par la Suisse en matière de droits de l’homme. Une option plus ambitieuse serait de créer une commission d’experts, voire une Cour constitutionnelle, qui serait chargée d’opérer ce contrôle, et de rendre un rapport consultatif : de cette manière, le peuple voterait en pleine connaissance de cause, et assumerait le risque qu’un texte contraire aux droits de l’homme serait inappliqué.

Certains croient encore dans le vieil adage « vox populi, vox dei », et continueront de lancer des initiatives populaires contraires aux libertés pour lesquelles tant de nos ancêtres ont donné leur vie. En lançant de telles initiatives, leurs auteurs ne font en réalité rien d’autre que de mentir au peuple en lui donnant de faux espoirs.

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